Blog de Norore
Geek en perdition dans un monde qui va trop vite

Ressenti

29 Nov 2025 - Norore

Ces derniers mois, si ce n’est années, il y a différentes choses qui m’ont gêné-e ou dérangé-e, au cours de mes interactions sociales, sans vraiment savoir quoi. Il est possible que ce soit un sentiment de non-légitimité général me concernant. Et ce sentiment est renforcé lorsque mes interlocuteurices me font comprendre que mon ressenti, ou celui d’autrui, n’a pas le droit d’exister. Alors que chaque individu, chaque être humain, ressent les choses différemment.

Qui suis-je pour dire à une personne qui traverse une période difficile que sa souffrance n’est pas légitime, qu’il y a pire ailleurs ? L’exemple est un peu extrême mais c’est ce que je ressens quand on me fait comprendre que je chouine pour rien. Comme si j’étais trop stupide pour ne pas savoir qu’il y a pire ailleurs. Or ce n’est pas parce qu’il y a pire ailleurs que je n’ai pas le droit de ressentir certaines choses. Sauf qu’avec le temps, j’ai appris à refouler. Beaucoup. Trop souvent. Ce qui explique pourquoi j’ai longtemps eu de la colère ou un sale caractère, selon les goûts.

J’ai besoin de pouvoir exprimer mon ressenti, tout comme vous avez le droit d’exprimer votre colère, qui est aussi un ressenti. Je sais que mon ressenti n’est pas celui de tout le monde. Ni vécu au même degré que tout le monde. Quand je vous vois mépriser le ressenti d’autrui pour une raison totalement décorrélée, sans avoir les tenants ni aboutissants, en niant ses sentiments, invoquant le système, je vous vois juge et parti. Et je finis par m’éloigner des gens et fuir les relations sociales.

Évidemment que nous avons toutes et tous grandi en étant plus ou moins influencé par le système. Nous avons tous nos biais, nos croyances, nos persuasions. Mais lorsqu’une personne se sent en décalage avec le système, en parle et le vit bien, la ramener à ce que son image renvoi, c’est une violence.

Prenons mon cas. Parce que si je ne peux pas utiliser mon espace d’expression pour parler de moi, autant que je n’en ai pas, cela ferait des économies de ressources.

Il y a quelque temps, dans un bar avec pas mal de monde, une connaissance s’est immiscée dans une conversation que tenait ma moitié avec une de ses connaissances, au moment où elle parlait de privilèges et de ses ressentis. Cette personne s’est sentie légitime à lui sauter à la gorge, lui expliquant qu’en tant que mec il n’est pas légitime à parler de privilèges, et m’a donc pris à partie, parce qu’elle voulait m’entendre moi, en tant que meuf. Sans savoir qu’au départ, il était question de ce que peuvent vivre et/ou ressentir des personnes non cis. À votre avis, comment mon compagnon et moi, tous les deux non-binaires (cette personne le sait), sans avoir transitionné ni le souhaiter, et avec nos dissonances cognitives associées, avons pris cette saillie ? Certes cette personne avait un verre dans le nez, mais ce n’était pas la première fois que je la voyais débouler comme un chien dans un jeu de quilles. Ma moitié s’en est remise. Pour ma part, j’ai préféré ne plus vouloir interagir avec elle. Même si je suis d’accord avec elle sur le fond. La forme, beaucoup moins.

Alors voilà où j’en suis. Dans un état d’esprit où, au final, chercher à avoir une vie sociale comme tout le monde ne m’est pas permis. Parce que je dois me couper de plus en plus de gens qui veulent absolument débattre de tout, tout le temps, sans se soucier de savoir si la personne avec qui elles interagissent souhaite se lancer dans un débat ou a les ressources cognitives, culturelles et/ou énergétiques pour cela. Et ce n’est pas parce que vous criez plus fort que vous avez forcément raison. Au final, moi qui aimais fréquenter certains groupes et milieux pour pouvoir proposer mon aide, apprendre et avancer en communauté, je me retrouve une fois de plus à devoir fuir pour me protéger. Parce que je n’ai ni la force ni l’énergie de combattre sur tous les fronts. Et que vous n’avez pas à me l’imposer. Ni à l’imposer à qui que ce soit.

Oui, sur le plan anatomique, je suis une femme, je ne le cache pas derrière un binder, et, que vous le croyez ou non, certains jours sont plus compliqués psychologiquement que d’autres. Et j’ai plus souvent pris sur moi que vous ne le pensez pour venir dans certains milieux dits masculins, pour que le public voie que ce n’est pas « qu’un truc de mecs ». Déjà parce que je ne suis pas à l’aise dans un grand groupe de personnes, ça m’épuise très vite. Ensuite parce que je n’ai pas envie d’être la caution féminine. Vous savez, ce fameux token. Même inconsciemment, ça travaille l’esprit. Même si on veut en faire fi. Il suffit parfois de lever la tête pour se rendre compte que, malheureusement, oui, nos milieux sont encore très masculins. Est-ce que faire fuir les rares qui sont là pour apporter de l’aide parce que l’on en fait une revendication politique est une bonne cause ? Je ne sais pas. C’est à vous de voir. Moi, j’ai vu. Je n’ai pas les arguments ni les ressources pour me battre. Alors, j’arrête. Le temps d’aller mieux. Je revois mes priorités. Et je vais essayer de vivre et de garder la tête hors de l’eau malgré toutes les horreurs qui nous attendent.