C’est quoi, pour moi, être « libriste » ?
27 Nov 2022 - Norore« Libriste ». Que voilà un bien curieux mot employé pour désigner une certaine catégorie de personnes. Adepte de la philosophie du monde du Libre au sens large, c’est une question qui me revient souvent en tête. Au fond, pour moi, c’est quoi être « libriste » ? Oui, les guillemets ont leur importance. Dans ce billet tout personnel, je vous propose de voir un bout de mon parcours, de mes réflexions et de pourquoi je parle de philosophie et non pas de politique. Quitte à devoir faire grincer quelques dents.
(Ce billet est très décousu, je l’avais commencé il y a deux ans sans trop savoir où j’allais. Je l’ai repris, il n’en est pas mieux cousu. Peut-être que dans dix ans je penserai différemment, si je suis toujours de ce monde.)
Mais c’est quoi un libriste ? Et pourquoi ces guillemets ?
Si l’on se réfère à Wikipédia, la définition de libriste est la suivante :
Un libriste est une personne attachée aux valeurs éthiques véhiculées par le logiciel libre et la culture libre en général.
En matière de logiciels, le libriste défend les quatre libertés fondamentales telles que définies par la Free Software Foundation (en français, « Fondation pour le logiciel libre ») et le projet GNU, tous deux fondées par Richard Stallman.
Je ne suis pas sûr·e que le terme « libriste » soit bien choisi, il a un côté trop radical, trop intégriste qui en ressort, et, malheureusement, force est de constater que certains adeptes ont effectivement un comportement radical et intégriste. Quittes à vouloir imposer leur point de vue. Un peu comme certains partis politiques ? Je ne me reconnais pas totalement dans ce terme, et c’est pourtant ainsi que des gens me voient. Et c’est aussi comme ça que je me présente parfois, faute de trouver un meilleur terme. Vous comprenez donc peut-être la raison des guillemets.
Mes premières armes
Comme beaucoup de personnes dans le monde, j’ai découvert l’informatique à travers le système d’exploitation Windows, de Microsoft. Très certainement sous Windows 95 d’ailleurs. J’ai connu le tristement célèbre Windows Millenium, et, oui, c’était une vraie purge quand il crashait. Windows XP, qui est arrivé peu après, s’est montré bien plus stable, ce qui explique sans doute sa longévité ! J’ai connu le temps où, pour pouvoir jouer sur un jeu présent sur une autre partition que C: il fallait passer par DOS pour se brancher sur la partition D: et exécuter une commande pour lancer le jeu de notre choix. Je ne le savais pas à l’époque, mais c’était bel et bien de la ligne de commande, certes basique et tapée naïvement en suivant, à la lettre, les instructions que mon parrain m’avait indiquées.
Lorsque la première machine est arrivée dans ma famille, ma mère m’a imposé d’apprendre à taper au clavier à l’aide de mes dix doigts. Grâce à un logiciel de dactylographie de l’époque, propriétaire et payant, j’ai rapidement su utiliser le clavier AZERTY et découvrir les logiciels existants. Très rapidement, je me suis retrouvée frustrée de devoir me limiter à des logiciels gratuits, ou fournis de base, et bien moins performants que la suite Microsoft Office que j’utilisais au collège et au lycée. C’était vers la fin des années 1990, début des années 2000. (Qui se souvient de Works ?)
Et puis un jour, internet est arrivé dans notre foyer. Avec une petite connexion, il fallait faire attention à ne pas trop l’utiliser pour ne pas dépasser le forfait. Et demander à la famille de ne pas utiliser le téléphone le temps de faire sa recherche internet. Au fil du temps, des forfaits plus conséquents sont arrivés, me permettant de découvrir qu’il existait des logiciels gratuits et performants que l’on peut télécharger et utiliser sur sa machine. Comme internet était déjà une jungle épaisse, je regardais d’un œil envieux ces outils, en me demandant s’ils sont vraiment légaux, s’ils sont fiables et ne risquent pas de détruire mon ordinateur et toutes mes données. C’étaient les prémices des logiciels libres en France, Wikipédia était encore tout récent, le mouvement était alors encore moins connu qu’aujourd’hui. D’où une certaine méfiance quand on a été biberonné·e au tout payant (logiciel, service et après-vente).
C’est quoi ce truc ?
Arrive l’année de mon baccalauréat, que j’arrive à arracher tant bien que mal. En cadeau, je demande un ordinateur pour pouvoir entrer mes cours, et aussi jouer, accessoirement. Beaucoup plus jouer que de rentrer mes cours, peut-être ? Je continue de lire des articles sur Wikipédia, qui me permet de satisfaire ma curiosité sur différents sujets, tout en squattant des fora de jeux vidéos et d’informatique. Et donc en continuant de jeter un œil étonné et intéressé sur le logiciel et la culture libre, sans vraiment oser sauter le pas.
Et puis un jour, au détour d’un post, je vois une campagne le lancement pour une prochaine mise à jour de Mozilla Firefox. Je m’inscris pour recevoir mon Sésame. Dans la foulée, n’arrivant pas à me dépatouiller avec Microsoft Word qui me demande sans cesse de passer par le tiroir caisse pour mettre à jour, sachant que je suis étudiante et que je n’ose pas demander de l’argent à mes parents, j’installe Libre Office, avant la scission.
Je fais aussi du graphisme en amateur sur mon temps libre, je découvre Inkscape et je fais des débuts timides et hésitants sous Gimp, ne retrouvant pas mes habitudes de sous Photoshop.
Je teste, je tâtonne, je me pose aussi des questions sur Linux, mais je n’ose pas faire le grand saut. Je suis en formation pour devenir biologiste, et peut-être plus tard bioinformaticien·ne, je ne sais pas comment installer un système d’exploitation libre et les tutoriels que je lis me paraissent obscurs, très brouillon. Il n’y a pas encore de vidéo sur internet pour que j’ai une idée de comment ça se fait. Comme je ne suis pas très sociale, je ne connais pas encore les GULLs, je n’ai pas encore rencontré le terme, je ne sais donc pas encore que des gens, dans ma ville, pourraient m’aider. Et puis, est-ce que j’ai vraiment envie de faire une croix sur mes jeux ?
« Entre, tu es la bienvenue ! »
Arrive ma première année de Master en bioinformatique. Dès le premier jour de prérentrée j’apprends que l’on va travailler sur Linux. Ô joie ! Je vais enfin pouvoir tester et découvrir de moi-même comment ça marche ! Dans le mois qui suit, on reçoit un courriel nous informant d’une conférence sur les outils de graphisme libres. Je suis curieuse, c’est sur mon campus, le soir après mes cours. J’assiste à la conférence, je suis bluffée par le niveau du conférencier. Je ne sais pas faire d’aussi jolis dessins sous Inkscape, je suis jalouse. À la fin de la conférence, je vais le voir, on discute un peu, et là il me propose de passer un jeudi à son collectif pour que ses copains et lui m’aident à installer Linux en dual boot sur mon portable. Nous sommes très vite devenus amis et, quatorze ans plus tard, nous le sommes toujours.
Dans ce collectif, je commence à faire mes premières armes en aidant des gens qui sont bloqués sur leurs outils. Comme c’est un centre social, je découvre différents profils que je n’avais encore jamais croisés dans mon milieu d’origine ou dans mes études. J’apprends beaucoup : sur le logiciel et la culture libre, sur les gens, sur les autres, sur moi, aussi. Je voulais m’ouvrir à la culture et au logiciel libre, j’ai davantage ouvert mon esprit à l’humain et à sa complexité.
Un monde ouvert ?
Bien sûr, tout n’est pas non plus rose dans le monde du libre. Tout comme dans le monde propriétaire, on trouve des humanistes d’un côté et des élitistes de l’autre. On trouve aussi une certaine étroitesse d’esprit chez un certain nombre d’entre eux. Sans parler des trolls. *Et cela peut, malheureusement, avoir une influence plus ou moins bonne sur notre construction.
(*À partir d’ici je reprends le texte, ne sachant plus trop ce que j’avais en tête il y a deux ans. Il faudra bien s’en contenter !)
J’ai pendant un temps, peut-être un peu trop, été du côté “puriste”, à chercher le plus possible à n’utiliser que des outils et des logiciels libres, usant beaucoup de mon sarcasme habituel lors de mes interactions avec autrui. Cela fait partie de ma vie et de ma construction en tant qu’individu. Est-ce que j’ai des regrets ? Non, plutôt des remords, les regrets ne servant pas à avancer. Si c’était à refaire, est-ce que je le referai ? Aucune idée. Il est possible que le fait de gagner en confiance en moi, à cette époque, ait obscurci la personne que j’étais. J’ai peut-être encore ce travers, il faudra que je fasse montre de plus de prudence sur ce trait de ma personnalité.
En quittant ma région natale pour l’Île-de-France pour mon premier travail, j’ai pu avoir l’opportunité de m’ouvrir un peu plus au monde du libre. Et découvrir ainsi que tout n’est pas toujours beau. Les dissensions et les prises de bec sont présentes et réelles. Peut-être que ces sujets sont moins visibles en « Province » ? Ou alors j’ai tout simplement mûri à force de prendre des coups sans le vouloir ?
Oui, c’est politique !
Dans les milieux que je fréquente, j’entends souvent dire que si c’est apolitique alors c’est de droite. J’imagine que les autres milieux disent que c’est de gauche. Donc, est-ce que le logiciel libre et la culture libre sont apolitiques ? Je suppose que l’on devrait plutôt dire sans-parti.
L’un des avantages de la culture libre et de ses outils, c’est qu’ils sont ouverts à tous, y compris aux plus démunis. L’un des inconvénients c’est qu’ils sont également ouverts à des personnes dont la mentalité et le mode de fonctionnement ne nous plaît pas forcément, comme l’extrême droite pour ne pas la nommer.
Pour moi, être libriste, c’est aussi ça : assumer ce genre de choix. Est-ce que je veux que mon outil soit utile aux plus démunis ? Oui. Est-ce que je veux en exclure certains groupes de personnes ? Oui. Est-ce que j’en ai le droit ? Non. Techniquement ce serait difficile. Et moralement aussi. Alors je fais ce que je peux pour aider le plus de monde possible. Tout en sachant qu’une partie de celleux que je vais aider souhaite ma mort. Je n’ai pas à juger. En avoir conscience me permet également de savoir que je dois me protéger.
Lorsque j’aurai mis un certain nombre de choses derrière moi, que j’aurai de nouveau les ressources nécessaires et si la situation sanitaire s’améliore, ce qui est loin d’être gagné, j’aimerai aider un peu plus que ce que j’ai pu faire au cours de ces dernières années. Pour remercier les personnes qui m’ont elles-mêmes aidées. Mais également pour aider d’autres asociaux sans, ou avec très peu de, conscience politique à s’outiller pour s’émanciper.
Je reste persuadé·e que la culture, au sens large, doit être libre et accessible au plus grand nombre. Quel que soit son bord politique. Pour moi le logiciel ne reste qu’un outil d’émancipation. Même libre. Et le détourner de cet usage, c’est en faire une arme.
J’ai sûrement tort, ce ne sera pas la première fois. Pour moi, même si le mouvement libriste est politique, tant qu’il y aura des gens de différents bords politiques dans le mouvement, je continuerai de ne le voir que sur le plan philosophique.