Blog de Norore
Geek en perdition dans un monde qui va trop vite

Je fais partie des 80%, et vous ?

01 Oct 2018 - Norore
Pictogrammes illustrant diverses formes de handicap. Sont représentées 1) les personnes en fauteuil roulant, 2) les personnes ayant des maladies mentales, 3) les personnes communiquant par langue des signes et 4) les personnes aveugles et mal voyantes.

Aujourd’hui je viens vous parler d’un sujet un peu « honteux », « caché » voire « tabou » dans nos sociétés modernes et hyperactives : le handicap. Et plus particulièrement des 80% d’handicapés dont je fais partie et que vous croisez tous les jours sans même vous en rendre compte : les personnes atteintes de handicap invisible.

Je préviens d’avance que ce billet n’est pas là dans le but de me faire plaindre, je vis de mieux en mieux ma situation même si je n’ai pris conscience de mon état de fait qu’il y a deux ou trois ans et que je l’accepte enfin. Ce billet est plus à prendre comme un témoignage d’une personne vivant quotidiennement en situation de handicap, en espérant apporter un petit peu de visibilité et de compréhension sur pourquoi certaines personnes peuvent « péter un plomb » en public.

Premier handicap : une oreille traumatisée

Comment c’est arrivé ?

Un dimanche en bord de mer, durant mon enfance, je devais avoir environ cinq ans, j’ai été prise d’une violence otite. Je faisais souvent des otites à répétition lorsque j’étais petite, aussi ça a été une otite de plus. Sauf que, un dimanche, en bord de mer, aucun médecin de garde, ma mère ne conduisant pas et mon père, jeune médecin, étant de garde à plus d’une heure de là, il a fallu patienter jusqu’au lendemain. Pour elle, dans mes cris et mes larmes, pour moi, dans la douleur. J’ai fini par m’endormir cette nuit-là, mais à son réveil, ma mère a vu que du pus avait coulé de mon oreille.

Le verdict de cette nuit ne s’est pas fait attendre trop longtemps : mon tympan s’était perforé tout seul. Pas besoin de faire de paracentèse, comme on m’en avait fait régulièrement auparavant, l’infection avait pu s’écouler hors de l’oreille. Il fallait donc attendre que le tympan se referme tout seul. Et comme on m’a déjà posé cette question auparavant, non il n’était pas possible d’y placer un diabolo, le trou ne le permettait pas, je crois qu’il était trop petit, mais je n’en suis plus sûre…

J’ai eu une forte perte auditive au niveau de cette oreille, le tympan ne pouvant plus faire son travail correctement, et ce jusqu’à ce que celui-ci finisse de cicatriser. Sauf qu’il n’a jamais cicatrisé suite à cette otite…

L’opération de sauvetage

Vers l’âge de onze ans, de mémoire, j’ai été opéré de cette oreille. J’ai subi ce que l’on appelle une tympanoplastie. Il s’agit d’une opération qui a consisté, dans mon cas, et si je me souviens bien, à remplacer la peau du tympan par un morceau de peau. Ce morceau de peau provient de l’arrière de mon oreille, c’est ce que l’on appelle une auto-greffe. Je n’ai donc pas eu besoin de prendre une médication anti-rejet après ça.

L’opération en elle-même s’est bien passée, malgré le fait qu’elle a duré un peu plus longtemps que prévu et que le chirurgien a dû, légèrement, décoller mon oreille pour y faire passer les instruments. Oui, l’oreille a dû être ouverte. Pour opérer correctement, mon ORL a fait passer les instruments dans l’oreille, en les insérant sous le pavillon, par l’arrière, et utilisé une sorte de loupe spécialement prévue à cet effet pour voir le conduit auditif.

À l’issue de l’opération, je suis restée une semaine en clinique, puis un mois entier avec un bandage autour du crâne. (Et ils l’avaient bien serré, les vaches !) Bien sûr, pendant ce mois je n’ai pas pu sortir du tout. Le moindre rhume aurait pu faire échouer l’opération.

Et maintenant ?

Maintenant j’ai récupéré quasiment toute mon audition, de ce point de vue l’opération est un succès ! Malheureusement il reste toujours des séquelles pour lesquelles il n’y a pas forcément de solution.

Le « tympan » est là, il fait son travail, mais on voit qu’il a souffert. Je peux prendre l’avion mais je ne peux pas plonger en dessous d’un mètre de profondeur. Adieu mes rêves d’adolescente passionnée d’océano !

Je souffre en revanche d’acouphènes permanents, des bruits parasites créés par le cerveau qui a passé des années à chercher un son, c’est très classique dans les cas de surdité. Par chance, grâce au phénomène neurologique d’habituation —il me semble que c’est ça…— je ne les entends plus que si je suis fatiguée, si je suis malade, ou si j’ai l’oreille bouchée. Je sais que je les entends en permanence parce qu’il suffit que je sois dans une pièce sans aucun son pour les entendre de nouveau.

Ça veut aussi dire que je dois faire encore plus attention à bien protéger cette oreille. Je ne m’amuse donc pas à plonger la tête sous l’eau si je n’ai pas mon bouchon, moulé à mon oreille et donc unique au monde (oui, je sais, j’ai la méga-classe !). Je fais également attention à ne pas m’exposer aux bruits trop fort, si je vois un marteau-piqueur, dans la mesure du possible, je change de trottoir, et, bien sûr, j’évite les salles de concert ou, du moins, je ne m’approche pas trop de la scène et je reste près d’une sortie si jamais je ne me sens pas bien.

Si vous me connaissez dans la vraie vie, il est possible que je vous ai déjà fait répéter ce que vous me disiez, vous savez maintenant pourquoi :-) !

Second handicap : un genou qui fait le con

Comment c’est arrivé ?

Très bêtement.

Je faisais du vélo sur un terrain vague près de chez moi, avec mon frère et notre baby-sitter, vers l’âge de douze ans. Je m’amusais à faire sauter mon vélo en arrivant vite sur une petite butée, comme je le faisais à chaque fois que l’on jouait sur ce terrain vague. Jusqu’à la fois où mon vélo a décollé plus vite et plus haut que je ne le pensais. Je me suis donc retrouvée à passer par dessus le guidon, mes genoux ont frotté fortement dessus. Je me souviens encore de la sensation des ménisques qui sortent de leur trou et y reviennent tous seuls.

Comme à l’époque j’avais une tendance à l’hypocondrie (je me suis bien calmée depuis !), mes parents ont pensé que ma douleur au genou allait passer. Puis ils ont accepté, pour me faire plaisir, que j’aille voir un spécialiste. Résultat ? 25 séances de kinésithérapie, puis 25 autres, puis 10 dernières pour que le genou retravaille correctement. Et des certificats médicaux pour le reste de ma scolarité, m’empêchant de faire du sport collectif comme le football pour éviter de faire souffrir le genou. Ha ben oui, ça m’a fait très plaisir. Mais je ne leur en veut absolument pas, ils ont fait ce qu’ils pensaient faire correctement avec mon tempérament de « chouineuse » à l’époque.

L’errance médicale

Seulement, voilà, des séances de kiné, j’en ai refait au lycée. À ce moment-là les médecins me parlaient d’un syndrome rotulien. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, ça veut tout et rien dire.

Puis à vingt ans, mon genou refait des siennes. Mon généraliste me prescrit alors une cure de complément alimentaire pour refaire le cartilage parce que « ça craque quand tu fais des flexion-extension ». Un mois après, j’ai le genou de plus en plus fatigué, j’ai de plus en plus peur que ma rotule se déboîte en descendant une pente ou des escaliers. Ma hantise du moment c’est que mon genou se dérobe en plein amphi, ce qui fait que je laisse mes copines de l’époque s’asseoir devant et moi je reste sagement tout en haut, m’arrachant les yeux pour les schémas. Mon généraliste me represcrit une cure. Grâce à mon père (souvenez-vous, j’ai le privilège d’avoir un médecin dans ma famille !), j’obtiens un rendez-vous auprès d’un spécialiste du genou, qui a soigné l’équipe de rugby de la ville. J’y vais donc confiante, tout en priant ma rotule de rester en place. Verdict, j’ai l’un des trois muscles qui tient la rotule en place qui a perdu du tonus. Il me prescrit une genouillère et des séances de kiné, tout en me précisant, après avoir posé la question, que si j’avais attendu plus longtemps j’aurais fini aux urgences avec la rotule déboîtée. Merci à mon généraliste de l’époque pour sa cure, ça a été très efficace de ne pas m’envoyer voir de spécialiste sous prétexte que « on sait ce que tu as »…

Janvier 2017, bien que je sois habituée à avoir une perte de tonus musculaire de temps en temps, j’ai de nouveau mal. Comme je sais comment rééduquer le muscle, je fais ce qu’il faut. En vain. Mi-février, je vais voir une généraliste qui me prescrit une IRM du genou pour voir ce qu’il se passe. Mi-mars, soit le temps de passer l’IRM et de retourner voir la généraliste, le résultat tombe : j’ai un kyste poplité derrière le genou et un kyste dans le genou. Tu m’étonnes que ça me faisait mal à vouloir m’en arracher la rotule à mains nues :-) ! La toubib me fait une lettre à adresser à un chirurgien spécialisé pour extraire les kystes.

Mi-avril, je vais voir une rhumatologue spécialisée avec mon père. Je lui donne mes radios, le compte-rendu de l’IRM et lui explique quand et comment j’ai mal pendant qu’elle examine mon passé médical. « Ce que vous me décrivez ressemble à un début d’arthrose… » suivi de plusieurs secondes de blanc, je crois, le temps que je me prenne bien le plafond sur la tête. Ce n’était pas la nouvelle que j’espérais, mais c’est déjà beaucoup plus crédible par rapport à mon passé, et le fait d’avoir de l’arthrose aussi jeune peut être expliqué par le fait que ce genou a une excroissance, repéré quand j’avais seize ans, probablement suite à mon accident de vélo, accident au cours duquel mon genou a probablement été fracturé.

Et maintenant ?

Depuis que j’ai vu cette rhumatologue, je porte des semelles orthopédiques (remboursées en partie par la mutuelle et la sécurité sociale) et je prends des compléments alimentaires pour limiter l’usure prématurée de mon cartilage (non remboursés et à prix variable selon les pharmacies). Je n’ai pas été opérée pour les kystes, ceux-ci étant apparus parce que le genou souffrait, c’était une alerte de mon corps, ils ont fini par disparaître avec le repos. Je garde malgré tout la poche laissée par le kyste poplité, celle-ci se remplissant de temps en temps mais n’étant pas très gênante pour la marche, de plus le risque de récidive est trop important pour ce genre de kyste, autant le laisser tranquille.

Je fais attention à mon genou, je sais ce qu’il faut que j’évite de faire pour le blesser davantage, même si les transports en commun n’aident pas quand il est fatigué et que je ne boîte pas. Et encore, quand je boîte. Mais malgré ça, j’ai repris un « semblant » d’activité sportive, je me suis mise à la randonnée et je marche sur de plus grandes distances qu’avant, donc, de ce côté-là, je ne suis pas trop à plaindre entre deux crises. Je reste malgré tout une personne à mobilité réduite. Bien que pouvant marcher sans l’aide d’une canne ou d’un fauteuil roulant, je ne peux malheureusement plus courir pour éviter de me détruire plus rapidement le cartilage. Ce qui ne m’empêche pas, parfois, de courir après un fichu bus qui ne passe que toutes les 15 minutes même en heure de pointe, et souvent je me gronde…

C’est quoi cette histoire de 80% et de handicap invisible ?

Comme vous l’aurez peut-être compris, je souffre de deux handicaps au quotidien. Et pourtant, si vous me croisez dans la rue ou si vous avez déjà eu l’occasion de me rencontrer, vous ne pouvez pas le savoir à moins que je ne vous en parle explicitement. Parce que mes handicaps ne se voient pas aussi facilement que le fauteuil (2% des handicaps) de mon ami Jacques Foucry, qui a d’ailleurs écrit un premier billet sur son handicap et ce qu’il vit au quotidien et m’a inspiré pour parler de ce que je connais. Et pourtant, tout comme les autres handicaps je suis amenée à avoir besoin d’une adaptation particulière.

Dans la vie de tous les jours vous croisez très certainement des personnes qui ont une sclérose en plaque, une bipolarité, un daltonisme, de la dyslexie, voire une maladie génétique rare, dite maladie orpheline, comme mon amie Virginia, qui en parle sur un blog dédié à son nouveau quotidien. Ce sont des exemples de handicap invisible et ils sont bien plus fréquents que les handicaps visibles. Autant quand un handicap se voit la plupart des gens « comprennent », autant quand il ne se voit pas les gens ont beaucoup plus de mal.

Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai dû rappeler que je ne suis pas sourde et que la personne peut parler normalement. Ni le nombre de fois où des potes m’ont spontanément proposé un tabouret, en se levant (sauf un qui est lui-même handicapé mais me propose tout de même sa place), pour m’asseoir à un bar alors que je n’avais pas mal au genou. C’est très gentil, vraiment, mais je peux aussi demander si j’ai besoin que vous articuliez ou parliez plus fort, tout comme je peux vous demander si l’un de vous peut me céder sa place :) ! Et même s’il est vrai que souvent je n’ose pas, c’est aussi à moi d’apprendre à assumer mon handicap et à demander de l’aide quand j’en ai besoin.


Source de l’image d’accroche : pictogrammes illustrant diverses formes de handicap. Image provenant de WikiMédia, sous licence Domaine Public.